Pour le 1er #MeetIdemiAfrica de l’année, nous avons reçu Cécile Canut, pour échanger sur son livre “langage et colonialisme ». Cécile Canut est sociolinguiste et cinéaste, professeure à l’université de Paris, autrice de Provincialiser la langue. Une rencontre animée par Abẹ́djẹ́ Sinatou Saka. IdemiAfrica, les langues africaines plus visibles sur internet
L’école, l’un des éléments majeurs
Il était question de comment les langues coloniales, en particulier le français, sont devenues des langues officielles sur le continent, comment la hiérarchisation s’est imposée, en considérant une langue meilleure que les autres. “Un des éléments majeurs c’est l’école”, précise la chercheuse, car il est considéré que “l’outil le plus valable pour éduquer les enfants, c’est de passer par l’outil occidental.”
Replay de la rencontre avec Cécile Canut – #MeetIdemiAfrica
La notion de bonne langue
A l’inverse de ce qu’il s’est passé en France métropolitaine, où les dialectes et patois ont été effacés, l’impérialisme colonial s’est traduit par l’imposition de la langue française dans les institutions. La notion de bonne langue existe-t-elle pour les langues africaines ? Pour Cécile Canut, “il y avait des pratiques langagières hétérogènes qui ont été plurielles, ça ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de catégorisation, mais il n’y avait pas de politique linguistique pour imposer une langue qui serait la seule bonne”, un constat que Cécile Canut dresse surtout pour ses terrains, dont le Mali, où “il n’y avait pas de normes prescriptives”.
Les langues dans l’enseignement sont aussi très peu demandées par les gens, par les parents. Pour un grande partie, l’école c’est apprendre le français
Cécile Canut dans MeetIdemiAfrica
L’espoir avec le cas de Sékou Touré pour les langues africaines
La question de l’école est revenue à plusieurs reprises dans la conversation. Et la chercheuse de rappeler comment l’espoir est né avec Sékou Touré en Guinée, qui a rompu de manière très nette avec la France, également via les langues enseignées à l’école. Ailleurs, les expérimentations sont malheureusement restées des expérimentations. “Les langues dans l’enseignement sont aussi très peu demandées par les gens, par les parents. Pour un grande partie, l’école c’est apprendre le français”, alors qu’ils percevaient l’école en langue comme “une école au rabais, parce qu’il n’y a pas de place ailleurs, avec toujours le point de départ de la hiérarchisation, pour trouver du travail par exemple, c’est par le français”. Pourtant, le français est parfois à l’origine de l’échec scolaire d’élèves qui ne maîtrisent pas cette langue.
Le Français, langue de dictature pour les langues africaines?
La pression de la France et des défenseurs de la Francophonie étaient aussi à l’ordre du jour. Pourquoi dit-on que le français a un bastion en Afrique alors que la majorité des gens continuent de parler leur langue ? Sans doute parce qu’on ne le mesure pas vraiment et parce qu’il manque des enquêtes sur la réalité des pratiques. Exemple ? La proportion de personnes qui parlent le français à l’école et nullement en dehors. A bon entendeur !
Le 29 mai dernier, nous avons organisé notre deuxième conférence en ligne avec Cherif Ndiaye, entrepreneur social, blogueur et promoteur de la plateforme éducative gratuite en ligne, “Ecoles Au Sénégal” et Bonaventure Dossou, co-fondateur avec Chris Emezue de la plateforme EdAi qui explore l’application du machine learning dans la traduction des langues africaines.
Pour Cherif Ndiaye, les difficultés suivantes se posent dans son activité.
Traduire des termes scientifiques (comme racine carré) dans une langue africaine. Si souvent, cette traduction peut être imagée, elle est soit trop pointue ou pas assez précise. Plusieurs mots français ont en effet été intégré dans la langue au détriment de la traduction précise du terme
Mais au Sénégal, l’academie du wollof tente de traduire des termes nouveaux comme téléphone ou batterie de téléphone.
Quant à Bonaventure Dossou, il soulève que très peu d’étude existe sur l’application de l’intelligence artificielle dans la traduction des langues africaines. Les seuls qui sont visibles sont celles de Google qui présentent d’énormes limites de traduction notamment sur la reconnaissance d’identité ou les lieux de naissance. Ces limites existent aussi d’ailleurs pour la traduction du français à l’anglais par exemple sur Google Traduction.
En tout cas, l’énorme boulot de Bonaventure Dossou et de son équipe ( déjà 54000 paires de phrase traduites) sont disponibles en open source sur github avec une restriction pour les utilisations commerciales. Il précise aussi que ce travail pourra être utilisé pour d’autres langues africaines, outre le fon, langue béninoise sur laquelle il s’est spécialisé. “ ça ne sert à rien de développer une application si ça ne profite pas à l’environnement”
La prochaine étape pour EdAi? Sans doute une application performante de traduction et peut être une traduction d’une langue africaine à une autre langue africaine sans passer par une langue occidentale.
On le sait, pour accroître le contenu en langues africaines en ligne, il faudrait vulgariser les claviers dans ces langues. Pour résoudre le problème, Bonaventure a exposé le travail de Fabroni Bill YOCLOUNON qui a développé une série d’outils numériques ( sticker, clavier, etc..) sous le label “ I am Your clounon”. L’application est disponible ici: https://play.google.com/store/apps/details?id=com.fulbertodev.fongbesticker&hl=fr
Pour Cherif Ndiaye, le son est un outil pour contourner la problématique des claviers. La culture africaine étant fortement orale. Ce format est en effet très répandue auprès des populations analphabètes sur Whatsapp et mériterait d’être valorisé par les producteurs de contenus, surtout avec la popularité grandissante des podcasts aujourd’hui.
La question des langues africaines en ligne est fortement similaire à leur réalité dans la société. Leur intégration dans les écoles ou dans des discours politiques participerait à leur visibilité et permettrait aussi aux populations d’être plus décomplexés.
Capture de la Diffusion en direct du Webinaire #MeetIdemiAfrica 2
La collaboration comme clé Une autre piste pour valoriser les langues africaines pourrait être la collaboration entre locuteurs, spécialistes, développeurs de langue française et anglaise sur le continent.
Indépendance technologique
La technologie n’étant jamais neutre, les invités ont soulevé la question fondamentale de la souveraineté technologique africaine afin de produire des applications qui répondent précisément aux besoin de la population. Cette souveraineté passe aussi par la production de contenus, vidéos (recettes de cuisine, conseils, etc…) ou images de qualité, dans les langues africaines.
Bonjour à toutes et à tous, Vous aviez été nombreux à participer à notre webinaire du 8 mai dernier sur les « Initiatives en langues Africaines sur le Covid-19. » Votre souhait a, en effet, été exaucé et nous vous remercions pour votre présence. Retrouvez ici replay de la soirée. Et ci-dessous un résumé des échanges:
Les initiatives présentées:
Les campagnes de prévention traduites en langues africaines par Je parle le Bassa 2.0
Stephie-Rose Nyot Nyot
Au début de la pandémie du Coronavirus en Afrique, Stephie-Rose Nyot Nyot de la plateforme Je parle Bassa 2.0 , devenu parleAfrique.com et qui rassemble aujourd’hui plus de 17.000 personnes sur les réseaux a lancé avec quelques collaborateurs des mini campagnes de sensibilisation en Bulu, en Bassa, Lingala, Ewé et Bambara . L’objectif était de mettre en avant les gestes barrières de manières inclusives afin d’atteindre un maximum de personnes pour mieux se préserver. Notons aussi que le Douala, le swahili, le kinyarwanda et le Wolof sont aussi des langues Africaines disponibles sur la plate forme .
Message de sensibilisation en Lingala
Message de sensibilisation en éwé
Les messages de sensibilisations sur le Covid-19 traduits en 17 langues locale par le gouvernement du Bénin.
Par Stévie Wallace
Les messages officiels au Bénin sont en général en langue française. Dans le cadre du Covid-19, pour adresser les messages à l’endroit des population analphabètes, le gouvernement a intégré dans sa politique de production des langues nationales. Aidé par les locuteurs en langues nationales de L’ORTB, les spots audios et vidéos en français ont été traduits en 17 langues locales et disponible en libre accès sur le portail du gouvernement du Bénin dédié à la pandémie . Les spots vidéo sont aussi accessible sur une playlist youtube . Des indicateurs de performances permettent de mesurer l’impact de ces mesures. Notons aussi le projet E-Gboa’Souklou de Pierre Nboha en cote d’ivoire pour Apprendre Nos Langues Maternelles a été partagé par Stévie Wallace, responsable en charge de la communication digitale de l’action du gouvernement du Bénin et de la Présidence du Bénin.
Les artistes Béninois en campagne contre le Coronavirus
Collectif 229 (Bénin) contre le Coronavirus l Corona Blocus (Clip officiel)
La sensiblisation en langue locale au Mali
Par Kpénahi Traoré
Kpénahi, Ancienne rédactrice en chef en langue Madingue à RFI, nous a informé sur l’échange de contenu en langues Africaines qui ont lieu au sein de la rédaction pour contrer la désinformation sur le coronavirus. Aussi une boite de communication Malienne a réalisé de façon bénévole des spots de sensibilisation dans plusieurs langues africaines dont le Bambara du Mali, le Malinké de la Guinée, l’anglais pidjin du Nigeria, le baoulé de la Côte d’Ivoire, le Haussa, Le Wolof, le lingala et le fulfudé. Le but est de diffuser ces spots de sensibilisation au coronavirus pour toucher toutes les communautés.
Les livrets de coloriage traduits en plusieurs langues locales
Par le magazine Ma famille
Le magazine Ma Famille destinée aux familles Africaines au Cameroun a créée en pleine pandémie du Coronavirus des livrets de coloriage en Français et en Anglais qui transforment les enfants en superhéros contre le covid-19 pour leur apprendre les gestes barrières. L’équipe de Marylène Owona Fondatrice de Kouaba, l’agence africaine de marketing intégré et de communication digital, sont aller plus loin en traduisant ces coloriages en langues locales notamment en Ewondo, en Douala et en Bassa et téléchargée plus de 4.000 fois, afin de toucher plus d’enfants. Cette initiative a permis de toucher beaucoup d’enfants de diverses couches en même temps les familles.
Plusieurs intervenants ont aussi précisé qu’en Afrique nous écoutons plus que nous lisons et les messages de sensibilisations impactent plus en audio et vidéo qu’à l’écrit. Toutes ces initiatives mériteraient d’être mises en lumière et c’est l’un des challenge de Idemi Africa .
Deuxième partie de MeetIdemiAfrica #1
Les échanges au cours de la deuxième partie de ce webinaire était de questionner la pérennité de toutes ces initiatives. Les différents intervenants ont touché du doigt la problématique de la multiplicité des langues Africaines. Une autre rencontre est prévu pour poursuivre la discussion.
A la modération…
Toute la discussion a été modérée par Sinatou Saka , membre du collectif Idemi Africa, Journalist-Editorial Project Manager à RFI et france24
Il faut rappeler que ce webinaire est le tout premier d’une série de #MeetIdemiAfrica organisée par le collectif IdemiAfrica
@IdemiAfrica pense à mettre en place un cadre de discussion dans les semaines à venir sur les langues africaines. Nous avons donc une question pour vous.